Pourquoi Intel est autant en difficulté ?
Nadim Lefebvre
- Il y a 10 heures
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Entre licenciements et retard technologique, voilà plusieurs années que les actualités négatives se succèdent autour d'Intel. Cette entreprise, autrefois formidable géant inatteignable, se trouve aujourd'hui en très grande difficulté face à ses concurrents. Quelques semaines après la nomination d'un énième PDG, on vous propose une séance de rattrapage sur les problèmes d'Intel qui montrent qu'aucune société n'est à l'abri.
La concurrence AMD frappe fort

Le retour en force d'AMD avec ses processeurs Ryzen a complètement bouleversé l'équilibre du marché des semiconducteurs. Depuis 2017, les puces Ryzen offrent des performances souvent supérieures à celles d'Intel, tout en proposant un meilleur rapport qualité-prix. Cette montée en puissance d'AMD a particulièrement touché Intel sur le segment des processeurs haute performance, où la firme de Santa Clara régnait en maître depuis des décennies. La part de marché des CPU pour serveurs illustre bien la tendance : AMD est passé de 0% en 2017 à 40% en 2025, alors qu'Intel était en chute libre. Les baisses sont moins significatives dans les marchés desktop et particulier, mais AMD grandit doucement.
L'architecture Zen d'AMD a permis de rattraper puis de dépasser Intel sur de nombreux critères, notamment en termes d'efficacité énergétique et de performances multi-cœurs. Cette situation a contraint Intel à revoir ses stratégies tarifaires et à accélérer ses cycles de développement, créant une pression supplémentaire sur une entreprise déjà fragilisée par ses propres difficultés techniques.
AMD a adopté une stratégie particulièrement moderne, le "fab-less". Comme Apple, le design des puces est fait en interne mais l'intégralité de la production est déléguée à TSMC qui est le fabricant le plus avancé au monde. En 2020, lorsqu'AMD annonçait des processeurs gravés en 7nm, Intel était alors bloqué au 14nm depuis de nombreuses années. A ce moment-là, un Ryzen 9 à 600€ pouvait dépasser les performances d'un i9 dont le prix était le double. Cette situation venait du fait qu'Intel voulait absolument graver ses puces en interne mais ses usines accusaient un retard technologique important face à TSMC.
Finalement, Intel s'est résolu à faire appel à TSMC pour ses processeurs de dernière génération et les GPU Arc. Notez que cela ne présente pas que des avantages ; déléguer sont outil de production à une entreprise tierce reste risqué et cher. Si TSMC décidait de prioriser d'autres clients ou connaissait des problèmes géopolitiques majeurs avec la Chine, c'est toute la fabrication des puces modernes qui se trouverait arrêtée, ainsi que l'activité de ceux qui les conçoivent comme Intel, Apple ou AMD.

Le divorce avec Apple, un tournant majeur
La rupture avec Apple en 2020 constitue l'un des coups les plus durs portés à Intel ces dernières années. Pendant quinze ans, Intel équipait les Mac avec ses processeurs, représentant un contrat lucratif et prestigieux. La transition d'Apple vers ses propres puces Apple Silicon, débutée avec la puce M1, a non seulement privé Intel d'un client important mais a également démontré qu'il était possible de concevoir des processeurs plus efficaces.
Les performances impressionnantes des puces M1, M2, M3 et maintenant M4 d'Apple (dont l'excellent MacBook Air M4 en promotion) ont mis en évidence les limites des solutions Intel — et x86 en général — particulièrement en matière d'autonomie et de gestion thermique. Cette transition réussie d'Apple a inspiré d'autres constructeurs à explorer des alternatives, fragilisant davantage la position dominante d'Intel sur le marché des ordinateurs portables.

Les rappels de processeurs qui ternissent l'image
Les difficultés d'Intel ne se limitent pas à la concurrence externe. L'entreprise a fait face à une crise majeure avec ses processeurs de 13e et 14e génération, touchés par des problèmes de stabilité liés à des tensions excessives qui rendait les puces inutilisables. Malgré l'ampleur du problème qui affecte tous les processeurs de 65W ou plus de ces générations, Intel a refusé d'organiser un rappel officiel, se contentant d'étendre la garantie de deux ans supplémentaires. Si le problème est aujourd'hui réglé, la politique de l'autruche d'Intel a surpris et déçu.
Les GPU Arc, une lueur d'espoir dans la tempête
Paradoxalement, alors qu'Intel traverse une période difficile sur le marché des processeurs, l'entreprise démontre sa capacité d'innovation avec ses cartes graphiques Arc. La gamme Battlemage, lancée fin 2024 avec l'Arc B580, offre des performances solides en 1080p et 1440p, répondant à la demande des joueurs PC pour des cartes graphiques abordables. Lors du CES 2025, Intel a réaffirmé son engagement dans ce marché, dissipant les rumeurs d'abandon et préparant de nouveaux modèles pour maintenir ses compétences graphiques essentielles pour l'IA.
Il fallait oser se lancer sur un tel marché dominé de la tête et des épaules par Nvidia. Bien qu'il reste encore énormément de travail pour devenir un acteur incontournable, la première incursion d'Intel est une réussite technologique. Ses cartes graphiques fonctionnent, sont plutôt stables et offrent des performances (hors gaming) excellentes pour le prix. Intel est encore capable d'innover avec un peu d'audace.
Un retard technologique général
L'échec d'Intel sur le marché mobile illustre parfaitement les difficultés stratégiques de l'entreprise. Malgré plusieurs tentatives, Intel n'a jamais réussi à s'imposer face à ARM dans l'univers des smartphones et tablettes, ratant ainsi l'une des plus importantes transitions technologiques de ces vingt dernières années. Cette absence du marché mobile a privé Intel de revenus considérables et d'une expertise cruciale pour l'avenir.
Le retard d'Intel sur l'intelligence artificielle s'avère également préoccupant. Pendant que NVIDIA dominait le marché des GPU dédiés à l'IA et qu'AMD développait ses solutions, Intel peinait à proposer des alternatives crédibles. Cette situation devient critique alors que l'IA transforme l'ensemble de l'industrie technologique, des smartphones aux serveurs en passant par les ordinateurs personnels.

Intel peut s'en sortir
Il y a dix ans, c'était AMD qui était dans la tourmente et menaçait de disparaître. Entre 2015 et 2017, Intel trustait les 90% de parts de marché avec ses excellentes processeurs de 6e génération qui ont réussi la transition majeure vers la DDR4. En grande difficulté sur les marchés du CPU et des GPU, Ryzen était la tentative de la dernière chance pour AMD. Intel est dans une situation semblable, et doit s'engager une grande révolution pour espérer se relancer. En tout cas, c'est tout ce qu'on lui souhaite car la concurrence est indispensable dans ce secteur. Comme on le constate, tout peut changer très rapidement.
Intel représente un enjeu stratégique majeur pour les États-Unis, étant la seule entreprise américaine capable de concevoir et fabriquer des puces de pointe sur le territoire national. Le gouvernement américain a investi massivement dans l'entreprise via le CHIPS Act, lui accordant 7,86 milliards de dollars de subventions directes et 3 milliards supplémentaires pour des programmes militaires, car Intel est décrite comme "le seul acteur central" de cette politique industrielle visant à relocaliser la production de semiconducteurs. Washington considère qu'Intel est "trop importante pour échouer" dans un contexte géopolitique tendu avec l'Asie, l'entreprise étant perçue comme le dernier rempart américain face à la domination de TSMC et Samsung dans un secteur critique pour la sécurité nationale et l'économie. Intel est la seule entreprise américaine capable de fabriquer des puces modernes. L'entreprise garde de sérieux arguments économiques et politiques pour continuer à exister, même si des changements sont inévitables.
La situation actuelle d'Intel rappelle que même les géants technologiques les plus établis peuvent vaciller face à l'innovation et à la concurrence. Pour les utilisateurs d'appareils Apple, cette période de turbulences chez Intel confirme la pertinence de la stratégie d'Apple de développer ses propres processeurs, garantissant ainsi un contrôle total sur ses performances et son évolution technologique.