Comment les marques chinoises veulent s'émanciper d'Android
Nadim Lefebvre
- Il y a 4 heures
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Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes entre les États-Unis et la Chine, plusieurs géants technologiques chinois semblent préparer un plan audacieux qui pourrait bouleverser le duopole Android-iOS. Xiaomi, Huawei et le groupe BBK (propriétaire de Oppo, Vivo et OnePlus) travailleraient sur un système d'exploitation mobile alternatif, totalement indépendant des services américains. Cette initiative stratégique pourrait redessiner le paysage des smartphones dans les années à venir.
Une alliance stratégique face aux tensions sino-américaines
Les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, ravivées par le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, poussent les fabricants chinois à envisager sérieusement un avenir sans Google. Selon plusieurs sources, Xiaomi développerait actuellement une version alternative de son système d'exploitation HyperOS 3 qui fonctionnerait sans les services Google. Cette démarche s'inscrirait dans une stratégie plus large impliquant d'autres acteurs majeurs comme Huawei et BBK Electronics.
Le groupe BBK, qui possède les marques Vivo, OnePlus et Oppo, aurait l'intention de créer un OS libéré des services de Google et plus largement de brevets américains. Cette collaboration pourrait s'appuyer en grande partie sur le travail déjà réalisé par Huawei avec HarmonyOS et le système HyperOS de Xiaomi.
Ce projet n'est pas simplement une réponse tactique aux sanctions américaines, mais une véritable offensive stratégique visant à redessiner toute une chaîne logicielle, depuis le noyau du système jusqu'aux bibliothèques de développement, en passant par les services cloud, les app stores et les interfaces de paiement. L'objectif est de créer une architecture numérique souveraine, libérée des contraintes américaines.

Le précédent Huawei comme catalyseur
L'expérience de Huawei a servi de véritable électrochoc pour l'industrie technologique chinoise. En 2019, l'administration Trump a placé le géant chinois sur liste noire, l'accusant de représenter une menace pour la sécurité nationale américaine, sans jamais fournir de preuves concrètes et vérifiables. C'est à partir de ce moment-là que les chinois ont véritablement mesuré leur indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, tant sur les volets hardware que software.
Face à l'interdiction d'utiliser les services Google, Huawei a développé HarmonyOS, son propre système d'exploitation. Initialement basé sur le projet open source d'Android (AOSP), HarmonyOS a évolué vers une plateforme totalement indépendante avec HarmonyOS Next. Cette stratégie a porté ses fruits en Chine, où HarmonyOS est projeté pour surpasser iOS en tant que deuxième système d'exploitation de smartphone le plus populaire cette année.
Fort de ce succès, Huawei prévoit une expansion internationale ambitieuse : après avoir commercialisé HarmonyOS sur smartphones et tablettes en 2024, puis sur les écrans intelligents et les systèmes automobiles en 2025, l'entreprise compte entrer sur les marchés internationaux en 2026 pour concurrencer directement Android.
En revanche, il est très difficile pour ces marques chinoises de se passer des technologies hardware occidentales. Si les constructeurs sont aujourd'hui capables se fournir en écrans et capteurs photos chinois, la situation est autrement plus délicate concernant les composants les plus complexes comme les SoC qui sont toujours sous contrôle quasi total des américains et de leurs alliés.
Les défis d'un écosystème indépendant
Développer un système d'exploitation mobile viable représente un défi colossal. Au-delà des aspects techniques, c'est tout un écosystème qu'il faut construire, avec des applications diverses et intégrées. Sans cela, la plateforme risque de ne pas séduire les utilisateurs. C'est pour cela qu'Apple, qui est seule à gérer tout son écosystème, fait figure d'exception dans le milieu.
Pour Xiaomi et ses partenaires, plusieurs obstacles majeurs se dressent sur la route :
- La nécessité de créer des alternatives crédibles aux services Google (maps, mail, app store, etc.) en particulier en Occident
- Le risque d'aliéner une vaste base d'utilisateurs habitués à l'écosystème Google
- La difficulté à attirer les entreprises et développeurs occidentaux sur un système chinois
- La diminution potentielle de la disponibilité des applications sur les marchés mondiaux
- L'investissement colossal nécessaire pour développer ces services alternatifs
C'est pourquoi la version sans Google de HyperOS 3 serait actuellement développée uniquement comme une "réserve stratégique". Xiaomi maintiendrait parallèlement une version "complète" intégrant les Google Mobile Services pour les marchés occidentaux.
En unissant leurs forces, Xiaomi, Huawei et BBK pourraient toutefois créer une puissance technologique détenant une large part du marché mondial des smartphones. Cette collaboration permettrait de partager les coûts de développement, de créer un environnement d'applications plus attrayant et de se protéger contre d'éventuelles restrictions commerciales américaines, et c'est tout le but.
Limites et perspectives
Notez que d'autres ont essayé de développer leur propre OS, et tous se sont confrontés à des échecs. Le Fire Phone d'Amazon a été abandonné après seulement un an en 2015, victime de l'absence du Google Play Store. Samsung avait brièvement réussi avec Bada OS en 2011 avant de l'abandonner faute d'applications. Windows Phone, malgré le soutien de Microsoft et Nokia, n'a jamais dépassé 3% de parts de marché avant sa disparition. Tizen OS de Samsung a échoué sur les smartphones tout en survivant sur certaines montres connectées et téléviseurs
Pour Apple, cette évolution du marché représente à la fois une menace et une opportunité. Si un troisième écosystème mobile venait à émerger, la firme de Cupertino pourrait voir sa position en Chine encore plus fragilisée, mais pourrait aussi bénéficier d'un affaiblissement de l'écosystème Android à l'échelle mondiale. En effet, les OS d'Apple sont cantonnés au segment haut de gamme avec une philosophie très fermée, ce qui ne serait pas le cas d'un OS chinois qui se rapprocherait bien plus d'Android.
L'avenir nous dira si cette alliance chinoise parviendra à briser le duopole Android-iOS ou si elle restera cantonnée au marché chinois. Une chose est sûre : les tensions géopolitiques continuent de remodeler profondément l'industrie technologique mondiale. Prochain rendez-vous : iOS 19 à découvrir à la WWDC 25 le 9 juin !