Apple Silicon : l'absence de rival aux puces M ralentit l'innovation
Nadim Lefebvre
- Hier à 11:30
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La domination d'Apple sur le marché des processeurs ARM pour ordinateurs portables pourrait bien se transformer en piège pour l'innovation. Depuis l'abandon d'Intel en 2020, la firme de Cupertino règne sans partage sur ce segment, une situation qui commence à montrer ses limites en termes de rythme d'innovation et de renouvellement produit.
Un ralentissement inquiétant du cycle de développement
Apple semble désormais adopter une approche plus détendue concernant ses MacBook. Selon Mark Gurman de Bloomberg, aucun nouveau MacBook Pro ne sortira en 2025, une rupture notable avec le rythme annuel habituel. Les futurs MacBook Pro équipés de puces M5 ne devraient pas voir le jour avant début 2026, conservant le même design que leurs prédécesseurs depuis 2021.
Cette stagnation visuelle est particulièrement frappante. Les MacBook Air et Pro actuels sont visuellement indiscernables d'une génération à l'autre, partageant les mêmes écrans, claviers et encoche pour la webcam. Plus révélateur encore, l'écran OLED tant attendu ne devrait pas arriver avant fin 2026-2027 sur le MacBook Pro M6, Apple pouvant se permettre de repousser cette amélioration faute de pression concurrentielle.
Le contraste avec l'iPhone est saisissant. Là où la concurrence Android pousse Apple à innover chaque année, les Mac bénéficient d'un confort qui freine l'évolution. Cette différence de traitement illustre parfaitement l'impact de la concurrence sur l'innovation.

Une concurrence qui peine à émerger
Malgré les promesses répétées, Intel, AMD et Qualcomm n'arrivent toujours pas à rivaliser avec les puces M d'Apple. Qualcomm, pourtant le plus avancé des trois, avait annoncé dès 2021 un processeur capable de concurrencer les puces M, mais les résultats restent décevants. Même avec l'acquisition de Nuvia pour 1,4 milliard de dollars et le recrutement d'anciens ingénieurs Apple, les performances promises tardent à se concrétiser.
Qu'on s'entende : les processeurs Snapdragon ne sont pas mauvais pour autant. Dans certaines conditions de benchmarks, ils arrivent à dépasser les puces M, en particulier pour le GPU. Cependant, ils sont terriblement limités par Windows qui n'est absolument par prêt à faire une transition complète vers ARM. Nous verrons si la fusion d'Android et ChromeOS arrange les choses pour Qualcomm qui ne demande qu'à montrer ce qu'il sait faire, mais cela prendre encore plusieurs années.
Intel traverse une crise profonde depuis très longtemps, son nouveau PDG Lip-Bu Tan ayant admis que l'entreprise n'était plus dans le top 10 des fabricants de semi-conducteurs. Les causes sont multiples : énorme concurrence des AMD Ryzen, retard sur l'IA, perte du contrat avec Apple, difficultés de gravure... Cette faiblesse de la concurrence traditionnelle laisse Apple dans une position de monopole de fait sur le segment des processeurs ARM haute performance pour ordinateurs portables.
La situation est d'autant plus préoccupante que les puces M4 surpassent largement les offres concurrentes en termes de performances brutes et d'efficacité énergétique. Cette avance technique considérable décourage les investissements massifs nécessaires pour rattraper Apple qui maîtrise toute la chaîne. En effet, il ne faut pas seulement concevoir des puces très avancées, il faut également savoir bâtir un logiciel idoine. Les puces M ne sont rien sans l'optimisation inégalée de macOS/iPadOS, et vice versa.

Les conséquences pour l'innovation et le consommateur
Cette absence de concurrence crée un paradoxe. D'un côté, les consommateurs bénéficient de prix plus attractifs pour une puissance exceptionnelle, Apple n'ayant plus besoin de justifier des tarifs premium face à une concurrence inexistante. Les MacBook actuels offrent des performances remarquables à des prix relativement stables.
Mais cette situation cache un ralentissement préoccupant de l'innovation. Apple développe désormais ses puces M selon son propre calendrier, sans la pression externe qui stimulait auparavant les améliorations. Les générations M2, M3 et M4 se ressemblent étrangement, avec des gains de performance modestes et peu d'innovations marquantes, sauf la partie GPU qui a fait un bond avec le ray-tracing et l'upscaling. D'un côté, on s'en réjouit parce que cette situation montre à quel point ces puces ARM sont performantes. De l'autre, les usages ne semblent pas suivre la puissance croissante des puces. Dans l'usage de la plupart des consommateurs, les puces M1/M2/M3/M4 sont indiscernables. Il faut lancer un jeu comme Cyberpunk 2077 pour voir la différence entre un MacBook Air M1 et un MacBook Air M4 (mieux vaut avoir un MacBook Pro M4 Pro ou Max).
L'exemple le plus parlant reste l'absence d'écran OLED sur les Mac. Cette technologie, pourtant maîtrisée par Apple sur iPhone et iPad, reste absente des ordinateurs portables simplement parce que l'entreprise peut se permettre de ne pas l'intégrer. Sans concurrent crédible pour forcer la main, Apple privilégie ses marges à l'innovation.
Cette dynamique rappelle les périodes de stagnation qu'ont connues d'autres géants technologiques en situation de monopole. L'histoire de l'informatique montre que l'innovation prospère dans la concurrence, et s'étiole dans le confort du leadership incontesté.