Orange et ses forfaits fixes : quand la nostalgie coûte très cher
- 👨 Nadim Lefebvre
- Aujourd'hui à 09:30
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Des prix qui défient toute logique économique (et le bon sens)
Orange facture son abonnement fixe de base la modique somme de 21,96€ par mois — attention, accrochez-vous bien — sans aucune communication incluse. Oui, vous avez bien lu : presque 22 euros pour avoir le privilège de payer ensuite chaque appel au tarif fort. C'est un peu comme payer l'entrée d'un restaurant pour ensuite découvrir que les couverts sont en supplément. Et si vous avez la malchance d'être fibré, vous payerez 2€ de plus par mois.
Pour bénéficier de 2 heures d'appels mensuels - soit 4 minutes par jour, de quoi à peine dire bonjour à sa mère - il faudra débourser 28,99€. Les plus bavards qui souhaitent des appels illimités devront allonger 43,99€, un montant qui ferait rougir certains forfaits mobiles premium avec des centaines de Go de data. Et comme Orange a le sens de l'accueil, l'opérateur ajoute gracieusement 55€ de frais de mise en service, histoire de bien faire comprendre que l'honneur d'utiliser son réseau se mérite. L'opérateur va jusqu'à facturer l'activation de chaque transfert d'appel 0,11€ !
La comparaison avec l'écosystème tarifaire d'Orange révèle l'ampleur de cette distorsion, et c'est là que ça devient savoureux. Une Livebox Fibre avec téléphonie fixe illimitée incluse coûte 29,99€ par mois, soit moins cher qu'un forfait fixe 4h facturé 33,99€. Autrement dit, Orange vous facture plus cher pour avoir moins de services.
Plus cocasse encore, l'opérateur propose dans ses offres mobiles un forfait 2h avec 100 Mo à 2,99€ par mois pendant 6 mois, puis 8,99€ — soit 3,5 fois moins cher que l'équivalent fixe. On peut légitimement se demander si les équipes marketing de l'opérateur se parlent entre elles, ou si c'est une stratégie délibérée pour rendre la concurrence interne aussi absurde que possible.
La seule chose que l'on peut concéder à Orange est que les appels incluent non seulement les fixes, mais aussi les mobiles. Sur les offres internet traditionnelles, il faut choisir une Livebox assez haut de gamme et cher pour bénéficier des appels vers les mobiles. Une bien maigre compensation.
Un monopole technique au service d'une clientèle captive
Cette situation rocambolesque s'explique par le positionnement unique d'Orange sur ce marché de niche. L'opérateur demeure le dernier en France à proposer des offres ligne fixe seules, créant de facto un monopole sur ce segment. Les autres opérateurs ont jeté l'éponge depuis belle lurette, considérant sans doute que ce marché n'était pas assez juteux. Ils avaient tort : Orange nous démontre brillamment qu'on peut faire du chiffre même sur un marché restreint, à condition d'avoir l'audace tarifaire qui va avec.
Pour être tout à fait juste, il est normal qu'Orange ait conservé le monopole pour les abonnements cuivre, puisque l'opérateur historique est propriétaire des lignes jusqu'à leur extinction en 2030. En revanche, Orange a aussi fait le choix de proposer des offres fixes sur les lignes fibres contrairement à ses concurrents qui pouvaient également le faire.
La clientèle visée ? Principalement les personnes âgées peu familières avec internet — un public qui ne va pas comparer 15 offres sur un comparateur en ligne —les résidents de zones mal desservies qui n'ont pas d'autre choix, ou encore ceux qui souhaitent simplement un téléphone fixe sans les "complications" d'une box. Orange a ainsi identifié les segments les moins susceptibles de faire jouer la concurrence, et adapté sa stratégie en conséquence.
Le plus ironique dans cette histoire ? Ces offres fonctionnent désormais via la technologie VoIP (Voice over IP) plutôt que l'ancien réseau RTC progressivement fermé. Concrètement, la voix transite par internet, même si l'utilisateur final n'y a pas directement accès. Orange fait donc payer un service "traditionnel" qui utilise en réalité la même infrastructure que les offres box, mais sans en faire bénéficier les tarifs. Malin !
Un déploiement technique qui frise l'absurdité
Mais le plus savoureux dans cette histoire reste encore le déploiement technique de ces fameuses lignes fixes.
Pour les lignes cuivre traditionnelles, pas de surprise : on branche le téléphone fixe directement à la prise téléphonique murale, comme nos grands-parents l'ont toujours fait. Simple, efficace, logique. Mais Orange ne s'arrête pas là dans sa quête d'originalité tarifaire et technique.
Pour les offres VoIP via fibre, l'opérateur déploie une solution qui ferait sourire n'importe quel technicien : Orange fournit un boîtier fibre couplé à une sorte Livebox d'ancienne génération délibérément bridée pour ne sortir que de la téléphonie. Imaginez un peu la scène : vous avez accès à la fibre optique, cette autoroute numérique capable de débits gigantesques, mais Orange vous limite volontairement à l'équivalent d'un chemin de terre.
Mais le summum de l'incohérence technique arrive avec le partenariat Orange-NordNet. Accrochez-vous bien : pour les clients ne souhaitant pas avoir la fibre, Orange propose de fournir une box 3G/4G agrémentée d'une carte SIM. Oui, vous avez bien lu. Pour avoir une ligne fixe, Orange vous installe... une connexion mobile déguisée.
Cette solution défie toute logique technique : tout transite par le réseau mobile, nécessite l'installation d'équipements supplémentaires, consomme de la bande passante mobile précieuse, et coûte probablement plus cher à déployer qu'un simple forfait mobile traditionnel. Sans compter que la qualité de service dépendra entièrement de la couverture réseau mobile locale.
L'ironie ultime ? Cette box 3G/4G coûte plus cher à l'utilisateur qu'un forfait mobile illimité classique, alors qu'elle utilise exactement la même infrastructure. Orange réussit ainsi l'exploit de vendre un service mobile au prix fort en le déguisant en offre fixe.
Une stratégie commerciale contestable mais diablement efficace
Cette politique tarifaire, bien que moralement discutable, suit une logique économique implacable qu'on ne peut que reconnaître, même à contrecœur. Orange exploite ce qu'on appelle en économie une demande inélastique : sa clientèle captive acceptera ces tarifs faute d'alternative crédible. Quand vous avez 75 ans et que vous voulez juste un téléphone fixe qui marche, vous ne vous lancez pas dans une étude comparative des offres concurrentes, surtout quand elles n'existent pas. L'opérateur historique, dans une de ses pages d'aide, ne se cache même pas sur ses intentions :
Selon une étude INSEE, en 2021, 3,7% des Français possédaient exclusivement un téléphone fixe parmi eux, les 75 ans et plus représentaient 17,5 % de ces usagers. C’est pour cette raison qu’Orange, soucieux de servir tous les utilisateurs, s’engage aux côtés de nos aînés afin de les accompagner dans cette transition technologique.
La rareté justifie partiellement ces prix, car maintenir une infrastructure dédiée pour un marché restreint génère effectivement des coûts fixes élevés — en particulier sur le cuivre. Orange doit amortir ses investissements sur une base clientèle réduite, ce qui mécaniquement fait grimper les prix unitaires. C'est mathématiquement logique.
Cependant, l'écart tarifaire reste difficilement justifiable face à des offres complètes moins chères utilisant la même infrastructure technique. Cette stratégie rappelle certaines pratiques des constructeurs automobiles qui facturent les options de base au prix fort, mais au moins, vous repartez avec une voiture complète. Ici, Orange réussit l'exploit de vendre plus cher un service amputé de ses fonctionnalités principales.
Au final, Orange nous offre une masterclass de positionnement commercial : identifier un segment délaissé par la concurrence, y maintenir une offre indispensable, et optimiser sa rentabilité sans complexe. C'est du capitalisme dans sa forme la plus pure, et force est de reconnaître que c'est efficace. Même si nos aînés apprécieront modérément la facture.
Si vous avez un aïeul qui souhaite une ligne, pensez à lui proposer un ancien iPhone à vous avec un forfait pas cher chez Free, Bouygues, SFR ou Orange, ils démarrent à 2 € !