Shein va ouvrir ses premiers magasins physiques en France
- 👨 Nadim Lefebvre
- Il y a 4 heures (Màj À l'instant)
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Une offensive commerciale malgré les résistances
Shein déploiera ses magasins via un partenariat avec la Société des Grands Magasins (SGM), qui gère notamment le BHV Marais à Paris et plusieurs Galeries Lafayette en région. Le premier espace ouvrira au sixième étage du BHV début novembre, suivi de cinq autres points de vente à Dijon, Grenoble, Reims, Limoges et Angers. Cette stratégie marque un tournant pour l'enseigne qui n'a jusqu'ici fonctionné qu'en ligne, hormis quelques pop-up éphémères.
La réaction des acteurs locaux ne s'est pas faite attendre. Le groupe Galeries Lafayette, qui a vendu ses magasins régionaux à SGM sous franchise, a immédiatement exprimé son "désaccord profond" avec cette décision. L'enseigne historique considère que les pratiques de Shein contredisent son positionnement et ses valeurs, allant jusqu'à annoncer vouloir bloquer l'installation de la marque chinoise dans les magasins portant son nom. Anne Hidalgo, maire de Paris, a également dénoncé cette installation qui va "à l'encontre des ambitions écologiques et sociales de Paris".
Le paradoxe écologique européen
La situation met en lumière une contradiction flagrante dans la politique environnementale européenne. D'un côté, Bruxelles prévoit de supprimer l'exemption douanière dont bénéficient les colis de faible valeur en provenance de Chine, une mesure censée limiter l'explosion du e-commerce ultra-rapide. De l'autre, rien n'empêche réellement l'installation physique de ces mêmes acteurs sur le territoire.
Shein vend des robes à 8 euros et des jeans à 10 euros grâce à un modèle économique basé sur l'expédition directe depuis les usines chinoises. Ce système minimise les stocks invendus mais maximise l'empreinte carbone du transport et encourage une consommation effrénée. De plus, l'enseigne a déjà écopé d'une amende de 176 millions d'euros en France pour collecte de données sans consentement, et fait face à des accusations de greenwashing en Italie. L'Union européenne la considère comme une "très grande plateforme en ligne" et lui impose des régulations strictes sur la contrefaçon et la propriété intellectuelle.
L'hypocrisie de la fast-fashion traditionnelle
Mais le tableau ne serait pas complet sans évoquer la position ambiguë des acteurs historiques. Zara, H&M, et les grandes surfaces textiles européennes crient au scandale face à l'arrivée de Shein, dénonçant une concurrence déloyale. La réalité est plus nuancée : ces enseignes pratiquent elles-mêmes la fast-fashion depuis des décennies, avec des renouvellements de collections hebdomadaires et une production de masse en Asie. Leur modèle économique repose sur les mêmes mécaniques de surproduction et de prix agressifs, simplement avec des marges plus confortables.
De fait, bien que Shein encourage la surconsommation (comme tous ses concurrents), la plateforme chinoise a aussi permis à une population manquant de moyens de s'habiller à moindre coût. Et honnêtement, quelle est la différence fondamentale entre un t-shirt acheté sur Shein et un produit équivalent acquis à Kiabi ? De notre côté, on ne la voit pas.
La Fédération Française du Prêt-à-Porter parle de "destruction de dizaines de marques françaises", mais ces marques étaient déjà fragilisées par la concurrence de Zara et H&M bien avant l'arrivée de Shein. Jennyfer et NafNaf, citées comme victimes de la concurrence chinoise, avaient entamé leur déclin face aux géants espagnols et suédois. Shein n'a fait qu'accélérer un phénomène déjà bien installé, en proposant les mêmes produits à des prix encore plus bas.
L'ouverture de magasins physiques représente d'ailleurs un défi pour Shein, qui devra gérer des stocks et des coûts d'exploitation, réduisant ainsi son avantage compétitif. Cette évolution pourrait paradoxalement rapprocher son modèle de celui de ses concurrents, tout en créant 200 emplois selon l'entreprise. Le président de SGM, Frédéric Merlin, défend ce choix en affirmant vouloir attirer une clientèle plus jeune, imaginant qu'un client puisse acheter à la fois un article Shein et un sac de luxe lors de la même visite.
La vraie question reste entière : comment concilier des politiques environnementales ambitieuses avec un système économique qui encourage structurellement la surconsommation ? Tant que le textile restera l'une des industries les plus polluantes au monde, pointer du doigt un acteur plutôt qu'un autre relève davantage de la posture que de la solution réelle.
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