Apple face à l’UE : une stratégie radicale pour protéger son écosystème ?
Alban Martin
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Depuis l’entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA) de l’Union européenne en 2022, Apple a été contrainte d’ouvrir son écosystème iOS à des pratiques qu’elle avait longtemps combattues, comme le sideloading d’applications et l’intégration de systèmes de paiement tiers. Si ces changements, introduits avec iOS 17.4 l'an dernier, ont permis une plus grande flexibilité pour les utilisateurs et les développeurs, ils ont également suscité des tensions croissantes entre Apple et l’UE, notamment avec les récentes exigences d’interopérabilité pour des fonctionnalités comme le changement rapide d’écouteurs, un meilleur support des montres connectées tierces, et des alternatives à AirDrop et AirPlay.
Dans ce contexte, le journaliste Mark Gurman, spécialiste d’Apple, a partagé une analyse percutante sur X : plutôt que de se plier aux demandes de l’UE ou de payer des amendes, Apple pourrait opter pour une troisième voie radicale – retirer purement et simplement ces fonctionnalités pour les utilisateurs européens. Une position qui, loin d’être un simple caprice, reflète une stratégie cohérente de protection de son écosystème et de ses valeurs fondamentales.
Une ouverture sous contrainte, mais à quel prix ?
L’année dernière, Apple a dû se conformer aux exigences du DMA, permettant le sideloading d’applications et l’utilisation de systèmes de paiement tiers sur iOS. Ces changements, bien que bénéfiques pour certains – comme les développeurs souhaitant contourner les contraintes de l’App Store – ont été accueillis avec réticence par Apple, qui a toujours défendu un écosystème fermé pour garantir sécurité, confidentialité et cohérence d’expérience utilisateur. Mais l’UE ne s’est pas arrêtée là. Ce mois-ci 2025, elle a intensifié ses demandes, exigeant une interopérabilité accrue pour des fonctionnalités clés d’iOS, comme l’intégration des notifications pour les montres connectées tierces ou la création d’alternatives à AirDrop et AirPlay, des services propriétaires qui font la force de l’écosystème Apple. Elle a même établi un calendrier qui préfigure certains des changements que l'on verra dans iOS 19 et iOS 20.

Face à ces pressions, Apple se retrouve dans une position délicate. Comme le souligne Mark Gurman dans un post sur X daté du 24 mars 2025, l’entreprise semble avoir trois options : se conformer aux exigences, payer des amendes, ou… retirer ces fonctionnalités pour les utilisateurs de l’UE. Gurman penche pour cette dernière hypothèse, affirmant : « Je crois sincèrement qu’Apple préférerait retirer des fonctionnalités aux clients européens plutôt que de les ouvrir à ses concurrents. » Une prédiction audacieuse, mais qui s’appuie sur des précédents concrets.
I truly believe Apple would rather remove features from Apple customers in the EU than open them up to competitors. This would probably spark some sort of backlash in the region — against the EU, not Apple. We’ve already seen features like iPhone Mirroring get nixed there. https://t.co/IqN58fkm95
— Mark Gurman (@markgurman) March 24, 2025
Le précédent d’iPhone Mirroring : un signal clair
Apple a déjà démontré sa volonté de limiter l’accès à certaines fonctionnalités dans l’UE pour éviter de se plier à des réglementations qu’elle juge contraires à ses intérêts. Un exemple frappant est celui de l'iPhone Mirroring, une fonctionnalité permettant de refléter l’écran de l’iPhone sur un Mac et de le contrôler pleinement. Comme le note notre ami américain, cette option a été « supprimée » pour les utilisateurs européens, officiellement en raison de préoccupations réglementaires. Apple a justifié ce choix en expliquant que l’UE pourrait considérer iPhone Mirroring comme une forme d’émulation d’iOS sur macOS, ce qui risquerait de classer la fonctionnalité comme une plateforme de « gatekeeper » soumise à des règles encore plus strictes. Bien que l’UE ait nié cette interprétation, Apple a préféré jouer la carte de la prudence – ou, selon certains, de la résistance.
Ce précédent illustre une stratégie claire : Apple est prête à sacrifier certaines fonctionnalités dans des régions spécifiques plutôt que de compromettre l’intégrité de son écosystème global. En retirant la recopie de l'iPhone sur Mac, Apple a non seulement évité un potentiel conflit réglementaire, mais a également envoyé un message fort à l’UE : l’entreprise ne se pliera pas facilement à des exigences qu’elle juge excessives.
Une stratégie qui pourrait retourner l’opinion publique contre l’UE
Gurman va plus loin dans son analyse, prédisant que si Apple choisissait de retirer des fonctionnalités comme AirDrop ou le changement rapide d’écouteurs dans l’UE, cela pourrait provoquer un « backlash » – non pas contre Apple, mais contre l’UE elle-même. Cette hypothèse est crédible. Les utilisateurs européens, habitués à l’expérience fluide et intégrée de l’écosystème Apple, pourraient percevoir ces suppressions comme une conséquence directe des réglementations de l’UE, et non comme une décision arbitraire d’Apple. Des fonctionnalités comme AirDrop, qui simplifient le partage de fichiers, ou l’intégration transparente entre les AirPods et les appareils Apple, sont des éléments clés de l’attrait de la marque. Les retirer pourrait frustrer les consommateurs, qui pourraient alors blâmer l’UE pour avoir « forcé » Apple à prendre des mesures aussi drastiques.
Cette dynamique est d’autant plus probable que les utilisateurs européens ont déjà exprimé leur mécontentement face à des restrictions similaires. Par exemple, des discussions sur des forums comme Apple Community révèlent la frustration de certains face à l’absence d’iPhone Mirroring, avec des commentaires comme : « J’ai payé le prix fort pour mes appareils Apple, plus des marges importantes et la TVA, pour le privilège de vivre dans l’UE, alors j’aimerais pouvoir utiliser cette fonctionnalité. » Ce sentiment, au départ également exprimé pour Apple Intelligence qui a mis plus de six mois pour traverser l'Atlantique, pourrait s’amplifier si d’autres fonctionnalités populaires venaient à disparaître.
Pourquoi Apple adopte cette position
La stratégie d’Apple peut sembler contre-intuitive – pourquoi priver ses propres clients de fonctionnalités appréciées ? Mais elle s’explique par plusieurs facteurs fondamentaux :
- Protéger l’écosystème fermé : L’intégration verticale d’Apple – matériel, logiciels et services travaillant en harmonie – est au cœur de son succès. Ouvrir des fonctionnalités comme AirDrop ou AirPlay à des concurrents risquerait de diluer cette expérience unique, tout en offrant un avantage à des entreprises qui n’ont pas investi dans un écosystème comparable.
- Préserver la sécurité et la confidentialité : Apple a toujours mis en avant la sécurité et la confidentialité comme des piliers de sa marque. L’ouverture de fonctionnalités à des tiers, comme l’exige l’UE, pourrait introduire des vulnérabilités ou compromettre la qualité de l’expérience utilisateur, un risque qu’Apple semble peu encline à prendre.
- Maintenir un levier de négociation : En retirant des fonctionnalités, Apple pourrait chercher à faire pression sur l’UE pour assouplir ses exigences. Si les consommateurs se retournent contre les régulateurs, cela pourrait forcer un dialogue plus favorable à Apple à long terme.
- Une question de principe : Apple perçoit les interventions de l’UE comme une atteinte à sa liberté d’innover et de concevoir ses produits comme elle l’entend. Comme l’a montré son opposition passée à des demandes comme l’intégration de ports USB-C (avant d’y céder sous la pression), Apple préfère souvent résister jusqu’à ce qu’elle n’ait plus d’autre choix.
Une bataille au-delà de l’UE
La position d’Apple face à l’UE n’est pas un cas isolé. L’entreprise a déjà fait face à des pressions similaires dans d’autres régions, comme au Royaume-Uni, où elle a refusé d’intégrer une porte dérobée dans iCloud (la fameuse backdoor) pour des raisons de sécurité. En conséquence, la firme a carrément retiré le chiffrement sur certains services.
Aux États-Unis, il se murmure qu'Apple pourrait solliciter l’intervention de l’administration Trump pour contrer les exigences européennes. Ce contexte global montre que la bataille d’Apple contre les régulateurs est autant une question de principe que de stratégie commerciale.
Conclusion : Apple, entre innovation et résistance
En définitive, la position d’Apple face aux restrictions de l’UE, comme le suggère Mark Gurman, est une démonstration de sa détermination à protéger son écosystème et ses valeurs, même au prix de décisions impopulaires. Retirer des fonctionnalités dans l’UE, comme elle l’a fait avec la recopie de l'iPhone, peut sembler extrême, mais cela reflète une stratégie cohérente : préserver l’intégrité de son expérience utilisateur, éviter de donner un avantage à ses concurrents, et peut-être même retourner l’opinion publique contre les régulateurs. Si cette approche risque de frustrer une partie des utilisateurs européens, elle pourrait aussi renforcer la loyauté des fans d’Apple, qui apprécient précisément cet écosystème fermé et sécurisé. Reste à voir si l’UE ajustera ses exigences ou si Apple ira jusqu’à mettre ses menaces à exécution – une bataille qui, à n’en pas douter, continuera de faire des vagues.
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